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MORPHAE

Dernière mise à jour : 19 juin 2024


On a appris que le corps ne pouvait pas être autre chose que le corps. Que la limite c'est la peau.

On nous a montré du doigt : monstres. 

On est restés calmes. Calmes comme une chenille dans son cocon. Puis certaines, comme Morphae prennent tous les restes qui traînent autour. Calmement, discrètement, accumulent dans leur cocon tout ce que rejette la normalité. Des bouts de tissus, de plastique. Pour nous, les monstres, chaque poubelle est une visite au Louvre. Morphae est la preuve que non, la peau n'est pas le contenant. Et que non, on n'est pas calmes. 

Tout le temps, tout le temps, tout le temps, on travaille pour l'émancipation. 


Quelle est ton identité ou ton regard sur toi-même et sur ce que tu fais ? 


Morphae_

Je suis une artiste transmédia basée à Bruxelles, non binaire trans féminine. Je fais partie du spectre de la neuroatypie, ce qui est assez important dans la construction de mon personnage parce que ça nourrit énormément ce que je fais. Je suis performeuse drag en premier lieu, mais aussi intéressée par le design, le maquillage et, au sens plus large, la création d'œuvres visuelles pour étayer ce que je fais.

Ma pratique est très axée autour de la métamorphose, c'est-à-dire le changement de forme. Cette métamorphose est non linéaire, c’est-à-dire que je ne vais pas d’une forme moins évoluée à une forme plus évoluée. Ce n’est pas une évolution vers quelque chose de mieux, c'est une évolution constante dans des directions aléatoires. C'est juste une recherche de formes, de nouvelles esthétiques, de nouveaux concepts en fonction de comment je me sens à un moment donné. C’est vraiment un médium de recherche plutôt qu’un médium qui évolue vers un but spécifique.

Je suis satisfaite de façon assez variable par rapport à mon travail parce que je suis extrêmement perfectionniste. En plus, étant toujours en recherche de nouvelles choses, c'est difficile de me contenter de ce que je fais. Ça a toujours été comme ça. Ma pratique se base surtout sur mon vécu personnel, dans un but de me soigner, donc une sorte de thérapie personnelle que je lie beaucoup à la pratique en dehors de l’art qu’est la médecine. Je suis étudiante en médecine et pour moi, le drag est aussi un outil thérapeutique que j’utilise pour moi en premier et que j'espère être une représentation qui apporte aussi du soin aux autres. Donc Morphae est un outil de soin communautaire.


Comment ça évolue ?


Comme je viens de le dire, depuis le début que j'ai commencé à faire du drag, il y a plus ou moins deux ans et demi, je vois une évolution dans le professionnalisme et la qualité des matériaux que je propose. Cependant, par rapport au concept même, il n’y a pas d’évolution vers quelque chose de plus grand, de mieux, de plus sophistiqué. C’est constamment une recherche de thèmes, d’émotions, de concepts différents qui ne sont pas hiérarchiquement classables. C’est juste la façon dont je les aborde et la qualité du rendu qui évolue vers un mieux parce que je commence à travailler de plus en plus, et ça, c’est cool. Mais mon propos ne s'améliore pas, c'est vraiment une métamorphose non linéaire, et c'est quelque chose de très important.

En général, les choses dont je suis le plus fière, qui marchent le mieux, sont souvent des choses très imprévues, arrivées vraiment au fur et à mesure. Par exemple, mes perruques en papier collant (ruban adhésif) deviennent de plus en plus ma signature. C'est vraiment arrivé de façon très aléatoire. Je performais et je me rendais compte que ma perruque n’allait pas toujours avec ce que je portais. Il fallait que je trouve une solution, alors j’ai trouvé un rouleau de papier collant et je me suis fait une perruque en papier collant. Depuis, je le fais presque chaque fois que je performe. C’est pour ça que je reste toujours ouverte et à la recherche de nouvelles choses parce que, qui sait, un jour je tomberai sur quelque chose qui me conviendrait encore mieux que le papier collant.


Si tu pouvais tout faire aujourd'hui, qu'est-ce que tu ferais ?


Si je pouvais tout faire, j'aimerais pouvoir collaborer avec des designers sur la création, sur la direction artistique de shows, de représentations, de défilés. Pouvoir exprimer ma créativité avec l'aide d'un designer accompli pour créer ensemble un défilé ou une représentation. J'aimerais bien collaborer avec Tim Walker, un photographe que j'aime énormément, et ce serait mon rêve de pouvoir travailler avec lui. De même, j'aimerais collaborer avec Fecal Matter, que j'ai rencontré plusieurs fois, mais j'aimerais vraiment travailler avec eux. Si je pouvais tout faire, j'aimerais bien performer à Seattle parce que j'y ai vécu un an il y a six ans, et j'aimerais pouvoir retourner là où j'ai vécu et y performer. Ce serait une sorte de moment complet pour moi et ça, j'aimerais vraiment.

Aussi, dans l'optique où je commence à avoir une carrière dans le mannequinat parce que j'aimerais bien recommencer. J'étais mannequin avant et j'aimerais recommencer. J'aimerais bien partir quelques mois dans un pays d'Asie de l'Est, comme le Japon ou la Corée, en particulier en Corée, pour une sorte de résidence de quelques mois. Ma meilleure amie des États-Unis est coréenne et j'ai beaucoup vécu dans cette culture. Commencer à faire vraiment de gros éditos de photoshoots publiés dans des grands magazines, pouvoir essayer des archives de McQueen et Margiela. Beaucoup voyager, partir dans le monde.

Un grand rêve serait de pouvoir porter "In Vitro", qui est mon show en Belgique dont j'ai déjà fait une première édition. Faire un très grand show et l'exporter à l'international. Ça me ferait plaisir de remplir une énorme salle pleine de gens pour venir voir ce show-là.


Quel est ton rapport à la mode ?


Pour moi, la mode, au sens le plus large, ce sont les habits, les vêtements, car j'ai toujours considéré cela comme un moyen d'expression. Pour rendre visible vers l'extérieur l'univers intérieur, les émotions, comment on se sent, les affinités. Donc pour moi, c'est vraiment juste un moyen d'expression. Je ne vois pas ça comme une façon d'être plus beau, plus belle, c'est vraiment une façon d'exprimer des choses et de raconter des histoires. Trouver de nouvelles formes et pouvoir s'émanciper de la forme du corps humain qui est très figée dans la chair; parce qu'on ne peut pas changer la forme de son corps. La mode a toujours été très importante pour moi dans la création artistique et dans mon identité personnelle. Parce que je me suis toujours identifiée à des visuels de monstres, d’aliens, de choses qui n'existent pas parce que c'est vraiment comme ça qu'on m'a toujours traitée quand j'étais jeune, on m'a toujours traitée de monstre. Donc je me suis très fortement tournée vers des designers qui recherchent ça. Évidemment Alexander McQueen, qui est pour moi ma plus grande référence. J'aime les expressions pures d'un malaise par rapport à la société. Je pourrais citer d'autres inspirations comme Margiela ou Galliano, avec le côté déstructuré de la recherche du tissu, le côté artisanal que j’ai bouché et qu'on me reproche d'ailleurs. Moi, c'est quelque chose que j'adore et qui m'inspire énormément, ainsi que Iris Van Herpen avec son côté très biomimétique. Parce que je suis extrêmement inspiré par la nature, le biomimétisme est vraiment au centre de la recherche de ce que je fais et je recherche cela dans la mode.

Après pour moi, la mode reste un monde extrêmement à part, presque idéal dans un sens où c'est vraiment inaccessible car très gatekeeped (gardé), très favorisé en termes financiers, et c’est très difficile d’accéder à cette sphère. C'est vraiment une sphère très idéalisée dans ma tête.


Qu'est-ce qui manque à la mode ?


Il manque beaucoup d'inclusivité et d'accessibilité pour les personnes marginalisées. On a une représentation queer qui augmente un petit peu dans le monde de la mode, mais ça reste très normatif et dirigé par des personnes qui sont surtout cisgenres. Donc on a beaucoup de personnes homosexuelles à la tête de maisons de mode, mais ça doit rester très commercial et vendable. Évidemment, on utilise des personnes queer quand elles sont minces et blanches, et du coup je trouve qu'il manque beaucoup d'inclusivité par rapport aux personnes en situation de handicap, les personnes racisées, les personnes précaires, parce que le milieu de la mode est accessible aux personnes riches ou qui ont un statut social élevé. Ça me fait beaucoup chier, ça me gave. Je trouve qu'il manque beaucoup d'espace où l'on peut avoir accès et voir des défilés. Étant issue d'une classe sociale moyenne mais ayant un pied dans la mode, dans le drag et dans l'art, je me sens très privilégiée par rapport à la population. Je ne suis jamais allée à un défilé de mode, sauf quand c’était moi qui défilait. Je n'ai jamais été invitée à un défilé. Donc je trouve que ça manque. De l'inclusivité pour que ça puisse se démocratiser, que tout le monde puisse avoir accès et voir un défilé. Un vrai.

Ce qui me manque aussi, c'est l'intérêt pour la recherche et pour l'esthétique. Parce que maintenant on est dans une sorte de période d'hyper-consommation et d'hyper-commercialisation de la mode où, chaque mois, les marques lancent une nouvelle collection avec une trentaine de silhouettes. En fait, la production en quantité pâtit de la production en qualité. Je pense que c'est pour cela que le défilé Margiela par Galliano était incroyable, parce que Galliano a passé beaucoup de temps à créer cette collection et ça s'est vu. Donc je pense que c'est ça qui manque. Il manque de la recherche et un processus de création plus lent, du low fashion. Parce que la mode devient presque de la fast fashion tellement ça va rapidement dans la création du design.

Sur le terme de l'inclusivité, je pense qu'il manque évidemment beaucoup de directeurs artistiques et de designers, principalement des marques qui sont des femmes. Pour l'instant, on a énormément d’hommes blancs, jeunes ou vieux, mais hétéro-normatifs, même s'ils sont homosexuels. Où sont les femmes ? Où sont les personnes féminines, queer et racisées ? Il manque aussi beaucoup d'engagement politique et social. Je trouve que la mode est très déconnectée du monde dans lequel on vit et ignore les conflits de sociétés et les tragédies comme le génocide en Palestine. C'est très déconnecté et ça fait très "Hunger Games", où on vit dans un monde fast et très riche, alors qu'à côté c'est la misère.

Il manque enfin une valorisation de la manipulation textile, surtout dans les textiles non courants, utiliser du plastique par exemple. Vraiment innover dans le design de matériaux. Évidemment, c'est en train de se démocratiser et ça, c'est vraiment cool, mais je trouve que ça reste un peu marginal, un peu timide. On a l'impression que si tu n'es pas commercial et que tu ne te vends pas, tu ne peux pas exister. C'est dommage parce que, du coup, on ne voit pas toutes les idées incroyables que certaines personnes ont avec des trucs très innovants parce qu'en fait, ils ne se vendent pas et ils ne sont pas favorisés dans la hiérarchie.


Qu'est-ce qu'il y a en trop dans la mode ?


Ce qu'il y a en trop dans la mode, ce sont les collections. Le turnover de collections est trop rapide par rapport à ce qui est possible humainement pour créer des designs et des silhouettes vraiment recherchés. Ça va beaucoup trop vite, en fait. Et il y a trop de personnes privilégiées.




L. Etchart est une artiste, performeuse et écrivaine née à Montévideo en Uruguay. Elle vit aujourd'hui en France. Sensible à la lutte des groupes minoritaires et queers, son travail s’articule autour d’une approche décoloniale.

Enfant de guérillerxs Tupamarxs d’Uruguay, son enfance évolue au milieu de la lutte contre le fascisme, de l’amour et des parents anciens révolutionnaires et réfugiés politiques.

Elle publie en 2023 Tupamadre aux éditions Terrasses, une maison désireuse de mettre en avant des littératures queers et expérimentales. Un livre touchant, sensible et drôle, qui se veut politique par son écriture. Etchart crée une langue minimaliste dans laquelle le français s’hybride avec l’espagnol, donnant naissance à une écriture sans ponctuation, sans accent, sans orthographe. Une langue brute et franche qui se lit aussi vite qu’on écoute un flot de paroles. Et c’est là que naît le désir d’inciter le lecteur à se concentrer sur le fond et non la forme.



 
 
 

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